Fraîchement honoré du prix Tenoudji pour la vocation éducative nous avons demandé à David Uzan de nous retracer son parcours professionnel.
Un parcours atypique et passionnant que nous le laissons vous raconter avec ses mots :
» Je m’appelle David Uzan et je suis né le 6 décembre 1958 à Tunis, Tunisie ». C’est très souvent par cette phrase que je me présente à une nouvelle classe.
Mes petits Alsaciens se regardent alors les yeux écarquillés comme si le mot « Tunis » désignait l’Afrique équatoriale et « 1958 » était une date de l’Antiquité !
J’aime cette amorce non seulement parce qu’elle me permet d’établir le contact avec sincérité, mais aussi parce qu’elle me rappelle le point de départ et les étapes du chemin qui m’a mené là, à l’École AQUIBA de Strasbourg pour y enseigner la Torah aux enfants.
Un parcours personnel et professionnel où les rencontres furent décisives. Elles furent nombreuses et je me souviens avoir à chacune d’elles été conscient que cette nouvelle personne allait me construire et alimenter la flamme de mon envie de dire ce que j’apprends et de le partager avec des élèves.
Mais au commencement de chaque feu il y a une étincelle…
Dès l’enfance, c’est au Talmud Thora du jeudi matin (et oui, du jeudi !) et au mouvement de jeunesse du dimanche (le DEJJ du grand homme qu’était Norbert Dana de mémoire bénie) que je su le nom de cette étincelle.
Dans ces deux lieux, pourtant éloignés l’un de l’autre, j’ai découvert une seule et même chose que je pressentais toujours et qui, informulée au fond de moi, trouva colo après colo son expression : « être juif c’est bien, ça vient de très loin, ça se transmet, c’est grave d’arrêter ! ».
Ce qui a suivi et ce qui se passe encore pour moi n’est, qu’un lent et laborieux déploiement de ces quelques mots simples…
À l’âge de 21 ans, après avoir comme beaucoup de jeunes Juifs, partagé mon temps entre la fac de médecine (ratée !), la « Syna» et le mouvement de jeunesse, j’ai découvert l’étude approfondie du Talmud au sein de la Yechiva des étudiants de Strasbourg. Pour être plus précis, c’est le fait vital d’avoir un Maître, un cours, un échange quotidien autour des Textes, qui fut au centre de ce tournant qui, je le sais bien maintenant, décida de tout.
Quitter Paris et vivre à Strasbourg, dont la communauté juive tient beaucoup au mot « apprendre », nous permit à mon épouse et à moi-même, de quotidiennement recevoir éléments de langage, réflexion, outils d’analyse et connaissances à un rythme et à un niveau d’intensité que nous n’imaginions pas et qui nous ont aidés à construire notre famille.
Tant et si bien que le métier d’opticien-lunettier que j’avais appris perdit progressivement son attrait au profit d’une rageuse envie d’enseigner et surtout, je l’avoue…d’imiter mon Maître !
Engagé en tant que remplaçant à l’école Tachbar par le fascinant ami Yonatane Lilti (d’abord fascinant puis et pour toujours ami), j’oubliais vite les lunettes de mes clients ! Par la suite, tout s’enchaina : École Aquiba, premières responsabilités auprès de M. Bibas, le Directeur et premières rencontres avec les formations de toutes sortes.
Mon entrée en enseignement correspondait avec une période de réflexion intense dans le monde des écoles juives. Aux équipes de l’après-guerre, succédaient des Maîtres et des responsables d’école décidés à professionnaliser le métier des enseignants de Torah.
Cela n’allait pas de soi, car il fallait accepter de remettre tant de choses en questions dans un domaine où tout se nommait « Sainteté » et où on n’osait pas nommer les défauts pour ne pas risquer l’anathème !
Dans ce domaine (qui le contesterait ?), c’est l’Institut André Neher qui, mené par Prosper Elkouby ז״ל puis par Jo Tolédano, qui opéra de façon puissante ce lourd changement.
Je m’y jetais avec passion et guidé patiemment par mesdames Tamar Schwartz et Penina Soussan, je rencontrais mes Maîtres en enseignement : Shmuel Wygoda, Chantal Mettoudi, Annie Partouche et … l’effondrement des certitudes qui les accompagnait !
Vivre une formation est pénible tout en devenant indispensable. Comprenez-bien : c’est pénible parce qu’on s’y expose et qu’on y subit un questionnement permanent, qu’on s’y dépouille ! Mais ce dépouillement devient progressivement indispensable car on sait très vite qu’il nous mène à un autre nous-même qui se cache en nous et qui « lui » est un bon enseignant !
Il est inutile de dire que la différence entre « stagiaire en formation » et formateur s’estompe assez vite et que le goût de recevoir et celui de donner s’impliquant l’un l’autre, on en vient assez vite à recevoir ses premiers stagiaires…
Ainsi, entre 2005 et 2010, je passais mes mercredis dans les avions et dans les trains, sillonnant les écoles juives pour un peu y rendre ce que j’avais reçu.
Je le dis assez facilement aujourd’hui : ma rencontre avec les Maitres et les stagiaires de l’Institut André et Rina Neher (IARN) fut un enchantement au sens précis du mot. Comme dans le livre de Samuel où le jeune berger qu’était Saül à la recherche de ses ânesses perdues se transforme littéralement en un « autre homme » après une séance sur un toit dans la nuit étoilée avec le prophète. Séance dont l’intensité nous échappe !
Cette rencontre à l’air libre, dans le secret et hors de l’espace de la société (un toit ! au-dessus des maisons !) ouvre la rencontre avec soi-même et avec « l’autre homme » qui peut sortir de nous pour aider Israël. Saül qui abandonne la recherche de ses ânesses pour se faire réceptacle d’un autre projet dont il est déjà le porteur sans le savoir, c’est toute la force de la mise en formation. C’est toute la réussite de l’IARN.
Arrêtons un instant le déroulé de mon petit chemin sur l’IARN justement.
Aujourd’hui, intégré au Campus FSJU, l’institut continue plus que jamais à construire ce passage des enseignants vers « l’autre homme » qui vit en eux. Patrick Petit-Ohayon veille toujours à l’attractivité de ces temps d’ascèse en proposant aux écoles des programmes riches et très précisément à l’écoute des enseignants. Sous sa direction l’institut récapitule maintenant tant d’années d’expérience et d’expériences… Il veille à le maintenir comme un lieu où toutes les couleurs de notre peuple se côtoient sans jugement ni méfiance. Rare non ? Rare et crucial.
J’ai l’honneur de toujours faire partie de cette équipe et d’intervenir de temps en temps. C’est Robert Derai et Héloïse Allali qui m’y accueillent et me permettent, le temps d’une séance, de rendre à l’Institut ce que j’y ai reçu.
Mais à l’heure où j’écris ces quelques lignes, c’est la belle École Aquiba qui me requiert jour et nuit.
Belle, parce que s’y déploie une équipe de grande qualité, y vivent des enfants qui n’attendent que de rencontrer des Maîtres et où les mots « apprendre » et « ensemble » ne sont pas encore fâchés !
AQUIBA ? Les mots justes des Rabbins et les chants du mouvement m’y ont mené.
Autant que la profondeur et la permanence dans l’Étude de mon Roch Yechiva.
Autant que les exigences et la rigueur des formateurs de l’IARN.
Telles sont les rencontres qui forment un parcours que D. suscite pour un petit gars exilé de Tunis à Aubervilliers et qui trouve qu’être Juif c’est bien, ça vient de très loin, ça se transmet et c’est grave d’arrêter !
David UZAN,
Décembre 2019.