Comment parler de la mort à mon enfant ?


Avec l’épidémie du Covid19, on comptabilise chaque jour le nombre de morts. La mort est devenue proche de nous alors que nous l’avions peut-être oubliée. Les enfants ne sont pas épargnés des réflexions que suscitent le décès d’un proche. Les parents ont un rôle très important à jouer dans l’accompagnement du questionnement de l’enfant face à la mort.

Comment j’aborde le décès d’un proche ?

Dois-je en parler de la même façon à mon petit enfant et à mon adolescent ? Comment expliquer la notion de mort ?

Quels mots employer ?

Comment surmonter ma propre angoisse face à la mort ?

Puis-je parler de mes croyances ?

Et si mon enfant se ferme ou cauchemarde, que dois-je faire ?

Pour répondre à toutes ces questions, Hélène Zrihen, directrice des formations au Campus FSJU a interviewé Léa Bitelmal.

Léa est diplômée en psychologie clinique de l’Institut de psychologie de l’Université Paris Descartes. Elle s’est spécialisée dans la gestion de l’anxiété et la prise en charge EMDR des psycho traumatismes. Léa partage son temps entre l’institutionnel (à l’OPEJ et au CASIP) et le libéral dans son cabinet du 8e arrondissement de Paris. Elle accompagne ainsi toutes formes de publics : enfants, ados, adultes et aidants familiaux. Ancienne directrice d’Accueils Collectifs de Mineurs (ACM), elle continue chaque été à former et coacher les nouveaux directeurs notamment auprès de Moadon.

Vous trouverez ci-après le fruit de cet échange, propos recueillis et rédigés par Hélène Zrihen.

 

Hélène Zrihen : Depuis le début de la pandémie, la mort s’invite chez nous, au détour d’une prise de parole à la télévision ou à l’annonce d’un décès de proche, ami, professeur. Peut-on épargner les enfants de ces tristes nouvelles ? Comment annoncer la mort à un enfant ?

Léa Bitelmal : Pour commencer, Hélène, je rappellerai à tous les parents à quel point il est important de protéger les enfants des images qui circulent, actuellement, en continu. Leurs cerveaux ne sont pas en mesure de prendre en charge toutes ces images, au potentiel hautement traumatique.

Ce cadre posé, parler de la mort est nécessaire.

Afin, d’en amoindrir la difficulté, quand cela est possible, il faudra partager les informations sur l’état de santé de la personne pour laquelle nous nous inquiétons avec les enfants. Expliquer que la personne est malade, qu’elle est suivie par des médecins, qu’on la soigne.

Il s’agit d’aider l’enfant à se préparer comme on le fait pour nous-mêmes.

Si la mort survient, nous ne devons pas la présenter sous forme métaphorique « il s’est endormi », « il est parti ». Cela peut prêter à confusion. Si la personne s’est endormie, dans la pensée de l’enfant, elle peut se réveiller. Si on lui dit qu’elle est partie, c’est donc qu’elle pourra revenir. De plus, l’enfant peut associer mort et sommeil et ne voudra plus s’endormir ; il pourra aussi entrer dans une peur panique, refusant de laisser partir un parent au travail de crainte de ne plus le voir revenir.

Dire les choses simplement, en employant le vocabulaire usuel, sans mentir est important. Évidemment, il ne s’agit pas d’être exhaustif, au risque de choquer, mais bien de dire ce qui se passe en se référant au fonctionnement biologique de l’être humain.  « La mort c’est quand on ne respire plus, c’est quand le cœur s’arrête, que la personne ne peut plus parler, plus marcher » Il ne faut pas hésiter à proposer aux enfants de poser toutes les questions qui peuvent leur venir après-coup.

Pour apaiser la tristesse de la disparition, on peut aider l’enfant à construire ses ressources. Même si la personne n’est plus physiquement avec nous, on peut continuer à la faire exister dans notre souvenir. C’est une manière aussi de continuer à la faire vivre en nous. La mémoire, le souvenir, sont des moyens d’apaiser l’absence.

On peut aussi partager nos croyances. La spiritualité est un recours. C’est dans nos familles l’occasion pour parler à l’enfant de la continuité de la vie de l’âme dans le monde d’après (olam haba), des personnes qui pourront continuer à veiller sur eux…

 

HZ : Comment fait-on pour parler de la mort quand elle nous fait peur ?

LB : Avant d’annoncer un décès à ses enfants, nous pouvons prendre un temps pour réguler l’intensité de notre état émotionnel. Pour ce faire, nous pouvons échanger avec un adulte, un ami, un proche. Se donner le temps de l’apaisement et le choix des mots justes. Montrer qu’on a du chagrin, pleurer c’est possible et normal, si on explique et qu’on précise bien à son enfant que ce n’est pas de sa faute si son parent est triste, comme ce n’est en aucun cas de sa faute si la personne est décédée. L’idée n’est pas de cacher ses sentiments mais de veiller à rester le plus calme possible pour que l’enfant puisse comprendre ce que l’on souhaite lui transmettre comme message.

 

HZ : Est-ce qu’aborder le sujet de la mort ne peut se faire qu’avec son adolescent ?

LB : Il est important de parler à tous ses enfants, sur une temporalité assez proche, lorsqu’un décès touche la famille, que cela soit de très près ou d’un peu plus loin.

Ne pas parler en direct à son plus jeune enfant laisse libre court à son interprétation et à son questionnement ou pire à l’interprétation que fera le plus grand de ce qu’il a entendu. De plus, un enfant à qui on ne s’adresse pas, peut penser qu’il ne compte pas ou qu’il est responsable du décès, ou responsable de la peine de ses proches et que c’est pour cela qu’on ne communique pas avec lui sur le sujet.

Il s’agit donc bien d’expliquer aux plus petits comme au plus grands ce qui se passe. Peut-être ne choisirons-nous pas les mêmes mots pour chacun, mais nous devons veiller à leur transmettre la nouvelle.

 

HZ : Doit-on obliger nos ados à discuter avec nous quand il se passe quelque chose de grave ? Je force le trait, quitte à les harceler afin de permettre à l’angoisse de sortir ?

LB : Souvent les adolescents ne veulent pas parler avec leurs parents. C’est l’âge de la séparation, de l’individuation. Le sujet de la mort ne fait pas exception. Ils préfèrent rester dans leur chambre et en parler avec leurs amis ou même avec d’autres adultes.

C’est tout à fait normal que les adolescents n’aient pas envie de parler avec leurs parents et rassurons les ce n’est pas seulement le cas de leurs enfants.

C’est parfois aussi parce qu’ils ont peur de faire de la peine en exprimant leurs sentiments ou parce qu’ils ont besoin de garder leurs distances. Ils préfèrent se protéger de cette proximité pour pouvoir grandir. Il ne faut pas leur en vouloir et accepter qu’ils choisissent le moment où ils ont envie d’en parler.

Pour permettre à ce moment d’émerger, dire clairement « Je constate que maintenant tu n’as pas envie de parler de ce sujet avec moi ; mais sache que lorsque tu en auras envie je serai à ton écoute ».

Ne pas les harceler est essentiel mais rester à l’écoute est fondamental.

 

HZ : Comment revenir à la vie quotidienne ?

LB : C’est fondamental de garder ses repères et de recommencer à vivre normalement en gardant le cadre dont l’adolescent ou le jeune enfant a besoin pour continuer à grandir. Bien sûr, il ne s’agit pas de contraindre de façon autoritaire les enfants, mais bien de conserver un emploi du temps qui leur permettra de sentir que la vie continue. Ce cadre est nécessaire, l’enfant en a besoin pour reprendre le cours de la vie.

 

HZ : Quand dois-je consulter ?

LB : Si je constate, chez mon enfant, une vraie difficulté à surmonter cette épreuve, s’il a des idées noires, s’il fait des crises d’angoisse, s’il dort mal (difficultés d’endormissent, réveils nocturnes, cauchemars répétitifs) ou ne mange pas bien, s’il se perd dans ses pensées et est envahi par des images douloureuse et intrusives… Dans ces cas de figure, il ne faut pas hésiter à consulter.

Les décès liés au COVID 19 sont particuliers, et le deuil de chacun peut être compliqué en raison du facteur hautement traumatique qui l’accompagne. Les enfants, adolescents mais aussi les adultes pourront parfois avoir besoin de suivi spécialisés surtout lorsque les décès touchent des personnes qui leur sont très proches.

HZ : Nous avons tous, les moyens d’en discuter avec nos enfants.

En synthèse :

  • Préparer l’enfant au décès d’un proche,
  • Éviter à tout prix les mensonges,
  • Dire les mots justes,
  • Partager ses croyances,
  • Entretenir le souvenir,
  • Être au clair avec son propre ressenti.

 

J’espère que ces pistes de réflexion et ces réponses apportées par Léa Bitelmal contribueront à vous aider et à clarifier les moyens d’aborder ces sujets avec vos enfants.