Apprendre autrement avec les nouvelles technologies ? Réflexions (1/5)


C’est un fait bien établi : nous apprenons tous de façon différente et aucune méthode pédagogique ne suffit à rendre compte de cette diversité. Dans les sciences de l’éducation éclairées désormais par les neurosciences, il est admis que le sujet apprenant est protéiforme et qu’il existe plusieurs profils d’apprentissage qui interdisent tout déterminisme classant tels élèves en peine comme d’incorrigibles cancres ou les doués comme des perturbateurs qui s’ennuieraient en classe. C’est, en effet moins réducteur, et les enseignants qui sont actuellement sur le pont, avec l’obligation de la classe à la maison, n’ont de cesse de s’adapter à leurs élèves, avec force agilité, en réinventant via l’ENT la façon de prodiguer leurs cours et d’assurer cette continuité pédagogique chère au ministre J.M. Blanquer.

La prise en compte du profil d’apprentissage de l’enfant pour mieux enseigner et former nous fait donc prendre conscience que certains obstacles relèvent moins de l’aptitude, du don ou de ce qu’on désigne improprement le « potentiel », que de croyances persistantes, de messages dominants ou toxiques, de « drivers » dirait Eric Berne, qui inhibent ou paralysent l’élève, ou de la simple dimension du plaisir qui, prise en compte à travers le prisme du ludo-pédagogique, ouvrirait des tas d’horizons émotionnels et motivationnels insoupçonnés, offrant à l’enfant un terrain favorable pour apprendre et asseoir ses connaissances.

Dans le contexte inédit de cette crise, la question sur l’efficience des nouvelles technologies au service de ces processus s’appuyant sur les apports de la psychologie cognitive se fait plus vive encore. Favorisent-elles un apprentissage moins descendant, plus horizontal et collaboratif dans une promesse souvent idéalisée d’interactivité ? Prennent-elles en charge toutes les typologies d’apprenants : le rebelle, l’enthousiaste, le taciturne…? S’adaptent-elles à l’auditif, au visuel, kinesthésiste pour emprunter aux catégories de la PNL ? Remplissent-elles leur fonction de déclencheurs de motivation. Bref, inventent-elles une nouvelle culture de l’Apprendre et une néo-pédagogie fondée sur l’étendue des fonctionnalités, pour peu qu’on y ait accès … Car le taux d’élèves échappant aux écrans radars de la classe à distance, évalué à 8 % par l’Éducation nationale par manque d’équipement, reste inquiétant et nous ne sommes pas à l’abri d’un fossé inégalitaire qui risque de se creuser davantage au sortir de cette crise.

S’il est encore tôt pour dresser un bilan de ces médias, à l’aune des expériences des classes virtuelles voire des initiatives originales (les tutos de certains profs Youtubeurs fidéliseraient à cette heure en internautes assidus les élèves réputés décrocheurs !), il est à rappeler qu’aux prémices de la pandémie et des mesures renforcées de confinement, beaucoup pensaient que la fermeture des écoles entraînerait irrémédiablement la perte de lien avec les élèves et une désincarnation des savoirs.

La somme de contributions réunies dans l’ouvrage collectif Critiques de l’école numérique, paru en 2009 aux Éditions l’Échappée, coordonné par Cédric Biagini, Christophe Cailleaux et François Jarrige, avait déjà jeté un pavé dans la marre en confiant la plume à des enseignants, intellectuels, soignants pour démystifier la numérisation de l’éducation, prétendue inéluctable pour « révolutionner nos vies » et résoudre tous les problèmes de l’éducation, avec, en toile de fond, un détricotage minutieux du plan numérique au service de « l’ École de la confinance » généralisant, entre autres, l’équipement en tablettes.

Dans la formation universitaire et pour adultes, l’e-learning et autres webinaires, MOOC avaient créé un fort engouement et suscité après coup une certaine déception, car disait-on, cet enseignement à distance n’avait pas fait ses preuves en matière de lutte contre l’échec scolaire et recréait une forme de verticalité en entreprise. Mais à la faveur du contexte, les voilà revenus en scène, tirant les leçons de leurs faiblesses ! Il faut saluer leur inventivité, le recours à une culture numérique plus ciblée vers l’utilisateur, à des pratiques en ligne plus créatives, des méthodes qui synthétisent le design thinking, le meilleur des réseaux sociaux et fait apprendre à apprendre. Je renvoie à ce propos à l’excellent ouvrage de Dominique Cardon, professeur de sociologie à Sciences po, Culture numérique (Éd. Sciences po Presse) qui décrit l’ensemble des principales mutations de la révolution digitale et dont l’enseignement ne fait pas exception.

Et c’est en regardant du côté de l’éducation informelle, mon champ d’observation privilégié, qu’il il y a certainement matière à s’inspirer. Dans le cadre de leurs activités courantes ou en colos, les mouvements de jeunesse qui sont issus, pour la plupart, de l’éducation populaire, ont à cœur de proposer des méthodes actives privilégiant l’expérientiel, à mi-chemin entre Montessori et les nouvelles technologies. Force est de constater, qu’après trois semaines d’expérimentation tout azimut, les activités classiques basculées sur zoom, Houseparty, tictoc ou les nombreux logiciels à distance prisés des ados, les animateurs des EEIF, du DEJJ, de l’Hashomer Hatzaïr… rivalisent d’idées pour occuper les jeunes. En témoignent, à l’approche de Pessah, les pédagogies revigorées pour expliquer le seder ou les Haggadot interactives qui deviennent à elles-seules de vrais escape-games piquant la curiosité des petits et des grands.

En toute autonomie, les teenagers peuvent également se retrouver connectés à plusieurs pour jouer, chanter comme dans une veillée des EEIF, se confier sur leur état d’esprit, débattre ensemble de la situation inédite de pandémie qui les prive de défoulement et de rassemblements physiques. Une nouvelle circulation de la parole modérée par des animateurs grands-frères…

Dans mon prochain billet, je reviendrai sur la poursuite de ces expériences pour en tirer l’essence juive et didactique… À suivre.

 

 Philippe Lévy est directeur de l’Action Jeunesse du Fonds Social Juif Unifié et responsable du programmé NOÉ, partenaire du Campus FSJU. Enseignant de formation et éducateur, il gère notamment la relation avec les mouvements de jeunesse dans le champ de l’éducation informelle.