Avoir un adolescent à domicile, cela ressemble à une expérience, in vivo, de notre seuil d’acceptation de la différence.
L’adolescent(e) ne se couche, ni ne se lève à la même heure que le reste de la famille. Il évolue généralement dans une chambre de type capharnaüm, entre un lit et un bureau qui sont ses espaces de refuge. Son téléphone est greffé à sa main ou à son oreille, et il a toujours une tablette ou un ordinateur à portée. L’adolescent évolue en bande, même si sur ses réseaux sociaux préférés, son langage devient progressivement incompréhensible aux parents qui décidemment ne sont pas branchés…
Si vous êtes déjà parents d’adolescents, vous connaissez cela mieux que moi, peut-être. Si tel est le cas, comment essayer de vivre cette période sans craquer, surtout avec ce confinement qui vous maintient en proximité familiale 24 heures sur 24.
Il n’y a pas de solution miracle, mais cette phase d’évolution du jeune, commençant maintenant de plus en plus tôt2 et se terminant de plus en plus tard, il faut tout à la fois s’armer de patience et changer de posture parentale.
Tout d’abord, il faut se rappeler que l’adolescent se différencie en s’opposant. Il se cherche et a besoin d’un espace de créativité en se distanciant des règles et normes familiales. Ne cherchez pas à vous y opposer par l’autorité, cela ne ferait qu’accroitre son besoin d’opposition. Il va falloir accepter qu’il (ou elle) ait une marge d’autonomie sur son espace chambre, qui ne vous appartient plus et que vous ne contrôlerez plus. C’est difficile à accepter, mais faites-le pour votre enfant et tournez la tête. Momentanément, les normes ont changé pour lui.
Ensuite, comme le dit si bien le sociologue François de Singly3, pensez-vous en organisateur de voyages. Ce n’est pas vous qui faites le voyage, c’est votre enfant. Vous organisez tout pour que cela se passe bien, mais vous restez à distance pour qu’il puisse se sentir libre. Cela veut bien dire que vous ne décidez pas tout pour lui, mais que vous sécurisez son itinéraire de vie pour qu’il ne lui arrive rien de fâcheux, il serait capable de vous le reprocher. Il peut donc être momentanément libre de ses activités et de ses horaires, mais ménagez des rendez-vous de retrouvailles familiales, comme à la table de Chabbat.
L’adolescent change de tuteur de sécurité, il s’éloigne des parents pour s’accrocher à des pairs, avant, le moment venu, de s’attacher à son mari ou à sa femme. Vous le savez depuis sa naissance, votre enfant tout au long de sa vie va devoir se détacher progressivement de vous pour, dans l’autonomie, devenir père ou mère à son tour. Cela ne veut pas dire qu’il ne vous aime plus, ou qu’il se détourne de vous, mais qu’il grandit tout en vous gardant dans son cœur, mais qu’il lui sera plus difficile de vous l’exprimer car une certaine pudeur peut s’installer entre vous. S’il ne vous « calcule pas » comme disent les jeunes, au moment de l’adolescence, c’est parce qu’il a besoin de s’intégrer à un groupe de jeunes de son âge qui l’aideront à grandir, ce n’est pas parce qu’il ne vous aime plus ou qu’il vous a oublié. Patientez, le moment venu, il saura vous montrer son affection surtout si vous ne le culpabilisez pas ou que vous ne le harcelez pas.
L’adolescent n’est plus un enfant. Il est en train de devenir un adulte. D’ailleurs dans la tradition juive il l’est déjà. Considérez-le comme tel. Echangez avec lui, comme vous le feriez avec une personne juste un peu plus jeune que vous. Demandez-lui son avis sur telle ou telle question, ou réfléchissez avec lui. Il en est capable. Son avis peut vous importer. Associez-le aux décisions de la famille. Surtout écoutez-le exprimer ses goûts et ses idées. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, de ne pas aimer la musique qu’il écoute en boucle, (comme vous le faisiez à son âge), mais dans le respect de son opinion et de sa personne. Son droit à la parole est essentiel, si vous voulez obtenir qu’il respecte la vôtre. La famille devient alors une expérience grandeur nature du vivre ensemble de personnes venant de cultures et d’opinions différentes. Mais pour que ce vivre ensemble soit enrichissant, chacun doit savoir qui il est. En tant que parents, vous avez également le droit d’affirmer votre identité, vos valeurs, vos choix. Ne soyez pas un ventre mou qui considère que tout se ressemble, cela risquerait de l’entrainer, par opposition, vers une posture radicale. Dans le Talmud, Hillel et Chammaï avaient des positions très différentes et souvent opposées, mais toujours dans le respect mutuel et c’est ce qui a maintenu la cohésion du peuple juif à leur époque. Que vous soyez plutôt Hillel, à l’écoute des besoins de chacun, ou plutôt Chammaï idéaliste et exigeant, peu importe, maintenez le dialogue à l’intérieur de la famille. L’adolescence ne dure pas toute la vie et vous apprécierez, une fois cette période passée, de retrouver votre enfant dans une posture plus conciliante.
Bon courage
Patrick Petit-Ohayon
- En écho du livre : Comment élever un ado d’appartement, Anne de Rancourt, J’ai Lu, 2009
- Les Adonaissants, François de Singly, Armand Colin, 2007
- Comment aider l’enfant à devenir lui-même ?, François de Singly, Armand Colin, 2009